Introduction : L'ordre de chevalerie de la Toison d'Or
C'est à Bruges, le 10 janvier 1430, à l'occasion des
festivités marquant son troisième mariage, avec Isabelle de Portugal,
que Philippe le Bon institue le plus glorieux et le plus illustre des ordres de
chevalerie, l'ordre de la Toison d'or, donnant comme nouveau
modèle à l'élite chevaleresque de son temps, la figure mythique de
Jason. Le fabuleux périple de Jason et des argonautes, partis en
Colchide, aux confins de la mer Noire, afin de conquérir la toison d'or
d'un bélier merveilleux, gardé par un dragon dans le royaume d'Aiétès.
Sous le patronage de Jason, exemple de courage et de vaillance, Philippe
le Bon crée donc une confrérie militaire chrétienne, rassemblant sous
son autorité 24 chevaliers, prestigieux représentants des plus hauts
lignages de ses principautés bourguignonnes (par la suite, le nombre de
chevaliers sera porté à 31, puis 51 et même 61). L’ordre de la Toison d'Or devait exalter l’esprit
chevaleresque, son but principal était la gloire de Dieu et la défense
de la religion chrétienne, comme le rappelait l’inscription figurant
sur le tombeau du duc à Dijon : " Pour maintenir l’Église qui est de Dieu maison,
J’ai mis sus le noble Ordre, qu’on nomme la Toison ".

En signe de leur appartenance à la Toison d'or, chacun
des chevaliers reçoit un manteau d'apparat de couleur vermeille, ainsi
qu'un collier représenté par une
dépouille de bélier d'or attachée par le milieu du corps à une chaîne
d'or composé de "fusils" ou briquets, stylisés en forme de B
(Bourgogne), encadrant des pierres à feu. La toison est l'emblème de
Philippe le Bon, le briquet, ayant à peu près la forme B, est relatif à
sa devise : Ante Ferit Quam Flamma Micet, "il frappe avant que la
flamme ne brille". Ci-contre, le collier de Philibert de Chalon. Les
costumes et les colliers revenaient, à
la mort du titulaire, au trésor de l'ordre.
Outre les chevaliers, l'ordre compte quatre officiers : le
chancelier, le trésorier, le greffier et le roi d'arme.
-
Le chancelier, homme d'église, conserve le sceau de
l'ordre et célèbre la messe de le Saint-André lors des chapitres de
l'ordre, initialement prévus à cette date.
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Le trésorier gère les deniers de l'ordre.
-
Le greffier, choisi parmi les secrétaires ducaux, est
responsable des archives
-
Le roi d'arme, qui a pour nom d'office Toison d'or, se
charge du cérémonial et des usages héraldiques ; il occupe le
sommet de la hiérarchie des officiers d'arme des principautés
bourguignonnes.
A l'origine, il est prévu de rassembler les confrères en
chapitres annuels, tenus dans un sanctuaire le 30 novembre, fête de la
Saint-André, patron des Bourguignons (cette date est toutefois
abandonnée à partir de 1445 et les chapitres sont réunis avec moins de
fréquence après 1436). Le siège est fixé dans la Sainte Chapelle du
palais ducal de Dijon. Les chapitres se tiennent au début en majorité
dans les possessions septentrionales du duc : Bruges, Lille, Dijon,
Saint-Omer, Gand, ...
Pour diverses raisons, Philippe le Bon ne peut réunir en
novembre 1430 le premier chapitre, qui se tient dans un grand faste à
Lille, novembre 1431. Élaboré pour cette occasion, les statuts de
l'Ordre sont :
-
être de naissance noble,
-
élus d'abord par cooptation,
puis nommés,
-
jurer aide et fidélité indéfectibles au duc de
Bourgogne, puis à ses héritiers, et à la foi chrétienne,
-
être
consultés sur les grandes affaires de l'état,
-
se réunir chaque année
en chapitre,
-
l'hérésie, la trahison, la fuite sur le champ de
bataille, l'acceptation d'un autre collier, entraînent l'exclusion,
-
prévoit une participation obligatoire des chevaliers
en cas de croisade.
De fait, le geste fondateur du duc apparaît avant tout
comme un acte religieux, avec pour objectif la défense de la foi
chrétienne. Or le personnage de Jason, héros païen n'incarne pas au
mieux l'idéal du chevalier chrétien. C'est pour cette raison que le
patronage de Gédéon vient très rapidement, dès la fin de 1431 sur
l'initiative de Jean Germain, le premier chancelier de l'ordre, s'ajouter
à celui de Jason. Car l'histoire biblique de Gédéon, racontée dans
l'Ancien Testament, au Livre des Juges fait fort à propos intervenir la
toison d'un mouton. Serviteur de Dieu, chef de guerre victorieux, Gédéon
symbolise la force spirituelle qui manque à Jason, et dès lors, l'ordre
de la Toison d'or sera placé sous le patronage des deux
personnages.
L'acte de fondation de l'ordre est digne d'un roi, on se
souvient qu'en 1348, le roi d'Angleterre Édouard III a fondé celui de la Jarretière,
et en 1351, le roi de France Jean le Bon a fondé l'ordre de l'Étoile. Ainsi en
1430, en pleine guerre de Cent Ans, cette initiative constitue pour
Philippe le Bon une manière d'exprimer avec éclat son indépendance tant
face au roi de France que face au roi d'Angleterre. Selon Georges
Chastelain, le duc de Bourgogne a même crée son propre ordre afin de ne
pas devenir membre de celui de la Jarretière, comme le lui proposait le
duc de Bedford, régent du roi Henri VI. Geste politique, l'acte fondateur
du duc vise aussi à cimenter, par le biais de la haute noblesse, les
différents états qu'après son grand-père et son père, il a réunis au
duché de Bourgogne - duchés de Brabant, de Limbourg, de Luxembourg, de
Gueldre, comtés de Flandre, d'Artois, de Bourgogne, de Hainaut, de
Hollande et de Zélande.
En nommant chevaliers l'élite de la noblesse de ses principautés, Philippe le Bon institue un lien fraternel, de fidélité personnelle,
avec des seigneurs qui exercent déjà les plus hautes fonctions dans les institutions politique ou militaire bourguignonnes. En fait, l'Ordre s'intègre
dans les structures du gouvernement ducal, les statuts de la Toison d'or faisant obligation au duc de Bourgogne de consulter ses chevaliers avant
d'entreprendre une guerre ou de prendre une décision importante ; lors des chapitres, les traditionnelles séances de correction fraternelle permettent aux
chevaliers, sans bien sûr dépasser certaines limites, de formuler leurs remontrances au duc. Toutefois, si l'objectif de Philippe le Bon est de fonder un
ordre exclusivement bourguignon, les nécessités politiques le contraignent vite à offrir le collier de la Toison d'or à des seigneurs étrangers à ses
principautés, afin de renforcer les alliances diplomatiques.
En 1448, Philippe commande à Robert Davy et Jean de l'Ortyre, deux tapissiers de Tournai, la somptueuse tapisserie de l'histoire de
Gédéon, patron de l'ordre. Cette tapisserie ornera les lieux de réunion des chapitres, à partir de 1456.
A la mort de Philippe le Bon, l'Ordre passe a son fils
Charles le Téméraire, puis à la mort de ce dernier, à l'époux de sa
fille Marie de Bourgogne, Maximilien de Habsbourg. Celui-ci le transmet à
son petit-fils Charles Quint, qui lui-même le remet, avec les Pays-Bas et
l'Espagne, à son fils Philippe II en 1556. Lorsque, en 1700, s'éteint
Charles II, le dernier des Habsbourg d'Espagne, la couronne espagnole
échoit au Bourbon Philippe V, ce dernier voulut conserver la grande maîtrise de l’ordre.
Mais en 1712, l’empereur Léopold Ier, chef de
la branche autrichienne des Habsbourg, s’attribua également les titres
et les souverainetés non territoriales de la Maison de Bourgogne, à
commencer par celle de la Toison d’Or. Il mit aussi la main sur le
trésor qui fut apporté à Vienne (où il se trouve toujours). Ainsi
naquit la division de l’ordre.
L’ordre habsbourgeois de la Toison d'Or, a conservé
le caractère religieux et aristocratique que lui avait donné Philippe le
Bon. Son rituel d’admission demeure, avec adoubement par l’épée et
serment solennel. La République autrichienne
l'a reconnu personnalité de droit international en 1953. Sa langue
officielle est le français.
L’ordre espagnol a pour grand maître le roi d’Espagne.
Le décret royal de 1847 qui en fit un ordre royal à caractère civil
précisait qu’il continuerait à être régi par ses anciens statuts,
avec les mêmes insignes et le même nombre de chevaliers. Le roi Juan Carlos Ier a nommé
plusieurs souverains étrangers.
Il existe donc aujourd’hui deux ordres de la Toison d'Or,
chacun contestant la légitimité de l’autre (la France ne reconnaît
que l’ordre de la branche espagnole).
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