Évènement du 28 avril 1109 :
Décès de l’abbé de Cluny Hugues de Semur ou Hugues le Grand, le 6ème abbé de la grande abbaye.
Qui est-il ? sa famille, sa jeunesse :
Hugues est l’un des six enfants du baron Dalmace Ier de Semur-en-Brionnais et d’Aremburge de Vergy. Il est né le 13 mai 1024 à Semur dans le château de son père. Par son père, il descend
des seigneurs de Semur connu dès le IXème siècle, par sa mère de la première famille des seigneurs de Vergy. Sa grand-mère paternelle est la fille du vicomte Dalmace, descendant de la famille des seigneurs de Brioude.
Son grand-père paternel Geoffroy Ier de Semur avait épousé en secondes noces Mathilde de Chalon, sœur du comte de Chalon et évêque d’Auxerre
Hugues de Chalon. Ses demi-oncle et leurs
descendants seront comtes de Chalon-sur-Saône et seigneurs de Donzy.
Sa sœur Hélie deviendra duchesse de Bourgogne en épousant le
duc Robert le Vieux, fils du roi des Francs Robert le Pieux. Les premiers ducs de Bourgogne sont donc ses neveux et
petits-neveux.
Son neveu Hugues, fils de son frère Dalmace sera évêque d’Auxerre. Son petit-neveu, Raynaud ou Renaud, petit-fils de son frère Dalmace, sera archevêque de Lyon.
Sa parentèle est riche des alliances entre ces grandes familles, ce qui l’aidera dans la suite de sa carrière ecclésiastique.
À l’âge de 7 ans il part chez son grand-oncle par alliance, l’évêque d’Auxerre Hugues de Chalon, afin d’y recevoir une éducation religieuse, plutôt que d’opter pour la carrière des armes.
Il a à peine 15 ans quand il intègre l’abbaye Saint-Marcel de Chalon et 2 ans plus tard il entre au monastère de Cluny sous la protection de l’abbé Odilon de Mercœur. Il est nommé prieur à 20 ans puis abbé de
l’abbaye de Nantua, puis grand prieur à 24 ans enfin sixième abbé de l’abbaye clunisienne à l’âge de 25 ans.
L’Ordre de Cluny sous son abbatiat :
Il occupa la charge d’abbé pendant soixante ans, et mourut à Cluny à l’âge de 85 ans. Il déploya une activité extraordinaire et porta Cluny à son apogée. Sous son abbatiat, l'Ordre de
Cluny va connaitre une expansion considérable, il va s'étendre en Angleterre, en Pologne, en Germanie, en Italie et en Espagne. Hugues parcourut l'Europe pour maintenir l'union de son Ordre, l'accroître et le défendre.
Il porte à son apogée le rayonnement spirituel de Cluny. Avec l'abbé Hugues, c'est l'éclatante affirmation de l'omnipotence de l'Ordre Clunisien.
Hugues doit aussi, comme ses prédécesseurs, défendre l'abbaye de Cluny contre les prétentions des évêques de Mâcon. En août 1063, un concile extraordinaire se tient à Chalon-sur-Saône.
Son objectif est de traiter la plainte des moines de Cluny pour l'empiètement de leurs libertés par l'évêque de Mâcon. Ce concile s'ouvre sous la présidence de Pierre Damien, évêque d'Ostie, mais surtout légat du pape.
Parmi les évêques on trouve Aganon d'Autun, Achard de Chalon, Drogon de Mâcon, Hugues de Nevers, Geoffroi d'Auxerre, mais aussi l'archevêque
Hugues de Besançon et l'abbé Hugues de Cluny. Le légat rappelle les textes de
fondation de Cluny, qui sont reconnus par l'assemblée, et Drogon ne peut que s'incliner : Cluny dépend du Saint Siège et non pas de l'évêché de Mâcon.
La construction de Cluny III :
Dans la Vie de saint Hugues écrite par Gilon, remontant aux années 1120, celui-ci nous montre Gunzo, ce moine qui a été abbé à Baume, en 1063, et venu se retirer à Cluny, âgé et malade,
rêvant le plan du majestueux édifice qui sera Cluny III, dont il aurait ensuite persuadé Hugues de Semur, alors abbé, d’entreprendre la construction.
Hugues entreprend la construction de la troisième basilique abbatiale, cette merveille détruite à la suite de la Révolution, qui fut, jusqu'à la construction du nouveau Saint-Pierre de
Rome, la plus grande église de la Chrétienté. Les finances arrivent de partout, parmi eux, le grand donateur est le roi Alphonse VI de Castille.
Cette construction prend son essor en 1088, afin de répondre aux besoins de la communauté religieuse, dont le succès avait rendu Cluny II trop
exigüe. Le réfectoire, l’hospice et l’infirmerie sont agrandis. L'abbé fait appel au moine clunisien Hézelon de Liège pour la construction de la majestueuse abbatiale romane dédiée aux saints Pierre et Paul. L'édifice,
long de 187 mètres, présentait une nef barrée de deux transepts aux dimensions inégales et flanqués d'absidioles. Le chœur semi-circulaire, pourvu d'un déambulatoire ouvrant sur des chapelles rayonnantes, abritait de
nombreuses reliques. Le chœur de Cluny II n’étant pas intégrable à l'édifice de grandes dimensions qui fut projeté à partir de 1078, ce dernier, Cluny III, fut donc implanté en
contigüité de l'abbatiale existante, au nord de celle-ci, cette option permettant seule de préserver les sanctuaires des origines. Le nouvel édifice fut alors accolé à l’ancien par l’extrémité sud de son principal
transept.
L'ensemble, dont il ne reste aujourd'hui que le bras sud de chaque transept ainsi que le soubassement du narthex, était rehaussé de sculptures et de peintures d'influence byzantine
attribuées au Maître de Berzé, auteur vers 1100 des peintures de la chapelle prieurale de Berzé-la-Ville. Cet imposant édifice, achevé sous l'abbatiat de Pons de Melgueil à l'orée de l'époque gothique, marque l'apogée
du rayonnement clunisien, mais aussi l'amorce de son déclin.
L’histoire de l’art n’a retenu que le nom de Cluny III, «
phare de l’Occident », ou « la Maior ecclesia ».
Son rôle de conseiller auprès des papes, des empereurs et des rois :
Hugues intervient régulièrement dans les affaires politiques qui secouent alors l’Europe.
Les papes :
Hugues était un excellent diplomate, il fut le conseiller de tous les papes qui se succédèrent durant son abbatiat. Dès l'année de son élection, il participe au grand concile de Reims,
dirigé par l’évêque Brunon d'Eguisheim, qui devient pape sous le nom de Léon IX en 1049. Il accompagne le pontife jusqu’à Rome pour le concile de Pâques en 1050. Là il se lie d’amitié avec Frédéric, abbé du Mont Cassin,
qui sera élu pape sous le nom d'Etienne X en 1057, et avec Hildebrand, abbé de Saint Paul, qui lui aussi sera élu pape quelques années plus tard sous le nom de Grégoire VII en 1073.
Hugues fut à plusieurs reprises nommé légat du Pape, envoyé en missions difficiles dans l’empire germanique et même en Hongrie. C’est aussi un acteur majeur de la réforme monastique
dite grégorienne entreprise par Grégoire VII, il en est le gardien, un promoteur qui s'appliqua à la développer et un fervent défenseur.
Grégoire VII s’appuya régulièrement sur l’abbé de Cluny, Hugues de Semur, pour conduire les affaires de la papauté. Il convient de rappeler que Hugues a été pendant longtemps le supérieur du moine Hildebrand devenu le pape
Grégoire VII.
Lorsque le pape Urbain II consacre l’autel de la nouvelle abbatiale le 25 octobre 1095, à Cluny, il n’oublie pas lui aussi qu’il a été moine et prieur de l’abbaye mâconnaise sous
l’autorité de Hugues. En novembre de la même année, Hugues participe au concile de Clermont, où Urbain II prêcha la première croisade.
De même, le pape Pascal II, ancien moine de Cluny, se rend au concile à Troyes qui se tiendra le 23 mai 1107, afin d’évoquer différents sujets, notamment, l’investiture des évêques
dans les différents royaumes, et le lancement d’une nouvelle croisade. Le souverain pontife souhaite visiter la Bourgogne, il va à Cluny et célèbre les fêtes de Noël 1106 dans l’abbaye mâconnaise avec son ancien supérieur
l’abbé Hugues.
Les conciles en Bourgogne :
Il participe à divers conciles régionaux comme celui d’Autun en 1060, ou le duc de Bourgogne Robert Ier est convoqué pour son éventuelle excommunication après avoir fait molester
l’évêque Aganon d’Autun. Le duc se présente mais refuse de
paraitre à l’assemblée. Alors l’abbé de Cluny Hugues de Semur, n’hésite pas à aller trouver le meurtrier de son père et de son frère, et réussit à l’amadouer. Ainsi, grâce à la médiation et la bienveillance, de l’abbé,
*le duc pardonne la mort de son fils aux meurtriers, et la paix se rétablit sur la Bourgogne.
Il est également présent à celui de septembre 1077, un synode qui se tient à Autun sous la présidence de l’archevêque Hugues de Die, légat du pape, en présence du duc
Hugues de Bourgogne,
de l’évêque Hugues-Rainard de Langres. Lors de cette réunion, le nouvel abbé de
Saint-Bénigne de Dijon fut nommé, il s’agit de Jarenton, élève de l’abbé de Cluny.
L’empereur Henri IV :
À la demande de l'empereur germanique Henri III et de son épouse Agnès d’Aquitaine, Hugues sera à Cologne en novembre 1050, pour tenir sur les fonts baptismaux le futur Henri IV, il
devient son parrain. Malgré sa grande influence auprès de son filleul-empereur, ce fut en vain qu'il tenta de le réconcilier avec le pape Grégoire VII dans la querelle des Investitures. Il sera son médiateur lors de sa
rencontre avec le pape à Canossa en 1077 accompagné par la comtesse Adélaïde de Turin, belle-mère d’Henri IV, et de la comtesse Mathilde de Toscane, cousine d’Henri. L’empereur devra venir s'humilier et demander pardon
aux pieds du souverain pontife pour suspendre son excommunication et lui reconnaître sa seule suprématie spirituelle et sa seule autorité sur le clergé d'Empire. Dans cette rencontre, Hugues joua un rôle majeur, en tant
que parrain et conseiller de l’empereur, mais également conseiller du pape. Pour autant le conflit entre l’empereur et le pape va perdurer plusieurs années. Il reviendra au pape Calixte II de régler définitivement le
conflit avec l’empereur Henri V.
Le roi Alphonse VI de Castille :
Hugues appui la conquête des royaumes musulmans d’Espagne par son filleul, le roi Alphonse VI de Castille. En 1078, le duc de Bourgogne Hugues Ier à la demande de son grand-oncle
l’abbé Hugues, participe à ces guerres de conquête. Au retour de son périple espagnol, le duc abandonne son duché à son frère Eudes, et se retire moine à Cluny en 1079. Le comte Gui de Mâcon fera de même et viendra
terminer ses jours à Cluny après avoir donné son comté à son cousin
Guillaume de Bourgogne.
Puis entre 1086/1087, c’est
Eudes le nouveau duc de Bourgogne et son frère
Henri de Bourgogne qui s’engagent à leur tour dans ce conflit avec leur beau-frère, le comte
Raimond de
Bourgogne. Henri et Raimond se couvrent de gloire en combattant les Maures et obtiennent les mains des 2 filles du roi Alphonse VI de Castille et de León. Raimond épousera Urraque, et leurs descendants seront rois de
Castille. Henri épousera Thérèse, et leurs descendants seront rois de Portugal.
Les autres royaumes :
Hugues est aussi en relation avec le roi des Francs, Philippe Ier, et le roi d’Angleterre Guillaume le Conquérant. Hugues refusa l’offre du roi d’Angleterre de venir réformer les
monastères saxons.
Sa vie de constructeur :
L’œuvre architecturale d’Hugues de Semur est remarquable, outre l’abbaye de Cluny, il a laissé son empreinte dans de grands projets comme la construction des prieurés de Marcigny et de
La Charité-sur-Loire, la reconstruction de ceux de Paray-le-Monial ou de Nantua, l’agrandissement de la priorale de Souvigny, la chapelle de Berzé.
En 1054, avec son frère le baron Geoffroy II de Semur, ils fondent sur leurs terres, le premier prieuré de bénédictines à Marcigny, tout près de Semur-en-Brionnais et dépendant de Cluny.
C’est une œuvre personnelle de cette famille. Hugues installe sa sœur Ermengarde comme la première prieure et sa mère devenue veuve viendra s’installer comme moniale.
Il va aussi entreprendre la reconstruction du monastère de Paray-le-Monial à partir de 1092 qui s'acheva après sa mort. Ce nouvel édifice est une copie en beaucoup plus petite de la
grande abbaye mère de Cluny. Hugues est très lié
au monastère de Paray car il est de la parentèle du comte
Lambert de Chalon, le fondateur de cet édifice, comme on l’a vu son grand-père avait épousé en secondes noces,
Mathilde de Chalon, fille de Lambert.
Les origines de la chapelle de Berzé-la-Ville apparaissent dès 1042 dans les textes de l’abbaye de Cluny. L’acquisition du domaine se fait en plusieurs étapes durant tout l’abbatiat
d’Hugues de Semur. C’est seulement en 1100 que la propriété pleine et entière du prieuré de Berzé-la-Ville par l’abbaye de Cluny est établie suite à de nombreux échanges, achats et aussi alliances finement arrangées par
l’abbé Hugues. C’est sans doute à partir de cette date que le prieuré et la chapelle sont construits. La chapelle est édifiée sur un rocher, expressément pour l’abbé qui y séjourne régulièrement, surtout dans les
dernières années de sa vie. Ses décors sont un chef-d’œuvre de la peinture murale du XIIème siècle et les seuls témoins de la peinture monumentale clunisienne. Il y accueille aussi des hôtes de marque, par exemple,
pour les fêtes de Noël 1106, le pape Pascal II.
Fin de sa vie :
La fin de l'abbatiat d'Hugues de Semur est une période un peu difficile pour l'abbaye de Cluny, en effet les moines se tournent de plus en plus vers l’activité spirituelle et délestent
le travail manuel. L’abbaye doit engager des domestiques de plus en plus nombreux. L’abbaye a besoin de plus en plus d’argent, pour son fonctionnement mais aussi pour les travaux d'aménagement et de réfection.
Hugues de Cluny décède à l’âge de 85 ans, le 29 avril 1109, à Cluny.
Calixte II, qui avait été élu pape à Cluny même en février 1119, revint à Cluny en Janvier 1120 et ordonna de
solenniser par un culte liturgique l’anniversaire de la mort d’Hugues. Il sera finalement canonisé par l’Église avec une fête fixée au 29 avril.
Son successeur sera Ponce de Melgueil, qu’il a choisi et qui sera élu. Il terminera le grand chantier de Cluny III.
Son portrait :
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