Évènement du 11 septembre 908 :
Refondation d'un monastère bénédictin à Cluny par, le duc Aquitaine et comte de Mâcon, Guillaume le Pieux.
Fondation ou refondation et quand ?
Après la fondation Guérinide de 825, une période noire est observée sans élément notoire sur le site
de Cluny, y a-t-il eu destruction par les Hongrois, ou autre élément inconnu de nos jours ? Rien ne nous fournit d’indication.
Le 1 novembre 893, la comtesse-abbesse,
Ava, peut-être la cousine germaine ou la sœur du duc-comte, Guillaume le
Pieux, rédige son testament et indique qu’elle cède à sa mort, sa propriété
de Cluny, en échange de terres dans le Chaumontois, à son cousin ou frère, et en garde en attendant sa mort, la jouissance, cet acte est contresigné par Raculfe, vicomte de Mâcon.
La transaction réalisée indique un transfert à titre privé, et n’entre pas dans le domaine des comtes de Mâcon.
Cette Ava est certainement, de la famille du
comte-marquis, Guérin, elle pourrait être sa petite-nièce, par son frère Bernard d’Auvergne et son neveu Guérin d’Auvergne ou son arrière-petite-fille, si Bernard d’Auvergne était le fils du marquis-comte Guérin.
En 894, Bernon, abbé fondateur de l’abbaye de Gigny-sur-Suran (dans le
Jura), puis restaurateur du monastère de Baume-les-Messieurs, construit un monastère de bénédictins à Cluny, sur la demande de l’abbesse Ava, avec l’appui du
roi de Bourgogne, Rodolphe Ier, suzerain de Bernon, comme une dépendance ou un prieuré soumis à Gigny.
Un monastère à Cluny existe donc, depuis cette date, peut-être qu’il est construit sur les fondations de celui érigé peu de temps après l’assemblée de 825 ou un agrandissement de cet ancien bâtiment.
À la Pâques 897, le roi Charles le Simple vient au monastère pour assister au baptême de trois chefs
normands, on est en droit de penser que Bernon, Ava et Guillaume sont présents à cette cérémonie.
En Juillet 908, Ava est décédée, et demande que son corps repose à Cluny dans le sarcophage de son aïeule dame Ava ou Albane ou Abba, femme de Guérin.
Le 11 septembre 908, par un acte passé à Bourges lors d’un plaid, Guillaume le Pieux et sa femme Engelberge de Provence, donnent à Dieu et aux saints apôtres Pierre et Paul, leur villa de Cluny. Le monastère existant de Cluny passe dans les mains de l’Église.
Pour de nombreux historiens, la charte de
fondation de Cluny date de 909/910, elle est conservée à Paris sur un grand
parchemin. Pourtant il y a de nombreuses études qui ont prouvées des grands
doutes sur sa validité. Dans ce document fort contestable, Guillaume le
Pieux insère dans l’acte de donation une clause en vertu de laquelle les
moines doivent jouir d’un statut particulier, c’est à dire dépendre
directement du Saint-Siège, sans rendre compte de toutes leurs décisions, à
l’évêque de Mâcon. Cet acte est certainement guidé par Ermengarde, qui a
convaincu son mari, de refonder une église sur une terre ayant appartenue
auparavant à son père.
Pour nous, la charte originale de
Guillaume Le Pieux, est celle de 908, rédigée au plaid de Bourges, le 11 septembre, mais cette charte a été éliminée, pour laisser en place celle
de 909/910 connue actuellement. Mais nous disposons d’une copie partielle de la charte de 908, retrouvée dans les archives de l’évêque de Mâcon. L'objet principal de la charte de 908 est le changement de propriétaire du domaine de Cluny.
Le duc qui vient d’en hériter de sa sœur
ou cousine Ava, le cède selon les volontés de la défunte à l’Église, c’est-à-dire à la petite communauté de prieures bénédictines, qui s’étaient installées à Cluny, sous la bienveillance d’Ava, et avaient accueillies le moine Bernon, qui venait de Gigny et Baume-les-Messieurs, et cela depuis au moins l’an 894.
Par cet acte le monastère prenait vie, et rien dans la charte n’indique un rattachement direct du monastère à Rome, et encore moins de réduire les droits de l’évêque de Mâcon, sur cette fondation.
Acte de fondation antidaté de Cluny par Guillaume le Pieux
:
Alors pourquoi réécrire une charte et qui ?
Il est fort probable que l’acte de refondation de 908 cède uniquement Cluny à
la petite communauté de prieures bénédictines, d’ailleurs l’évêque de Mâcon ne signe pas cet acte, car il n’est pas présent à Bourges, mais qu’entre 929 et 931, la charte originale ayant disparue, a été falsifiée et remplacée, sur l’ordre de l’abbé Odon ( ?), par la charte dite officielle de la fondation de Cluny,
certainement rédigée vers 930, mais antidatée en 909/910, pour ajouter cette clause de jouissance si particulière, qui permettra de fonder l’ordre de Cluny tel que nous le connaissons.
Nous pensons que ce n’est pas l’abbé Bernon, qui resta jusqu’en 926, à la tête du monastère, aucune trace dans le cartulaire de Cluny, de cette donation et du lieu même de Cluny jusqu’en 926.
L’abbé Odon successeur de Bernon, est certainement l’auteur de la nouvelle charte, en recréant la charte de fondation, il a permis à l’abbaye de devenir la puissance ecclésiastique que nous connaissons, la charte « truquée » évoquant la création d'une principauté monastique, sous la juridiction du seul droit papal, interdite aux laïcs et prélats locaux. Et pour ôter toute trace, un nettoyage des chartes anciennes.
Les successeurs d'Odon, Odilon puis Hugues, vont poursuivre dans la direction des libertés autoproclamées par cette charte « inventée ». Le filon inespéré sera exploité à fond ! Voilà la principale recette des premiers succès de Cluny.
Pour plus de détail, nous invitons les lecteurs à lire l'étude de Marcellin
Babey sur ce sujet.
Voir l’étude de Marcellin Babey sur la fondation de Cluny.
La reconnaissance et l’agrandissement :
En Janvier 917, Ermengarde avec le consentement de son mari donne à perpétuité la villa, le fisc et l’église de Romans dans le Lyonnais au monastère de Cluny.
Le 14 juin 928, la sœur du roi Rodolphe Ier de Bourgogne, épouse du
duc de Bourgogne Richard le Justicier, mère du
roi des Francs Raoul, la comtesse Adélaïde, cède dans son testament, le couvent de Romainmôtier, situé dans le comté de Vaud dans le Jura suisse, au monastère de Cluny. C’est le signe, de l’attachement constant que montrera la famille royale de Bourgogne avec l’abbaye, depuis sa fondation de 825.
Mais cette donation ne sera pas effective avant plusieurs années, Adélaïde n’ayant pas les droits juridiques de donner ce couvent à des tiers.
La communauté clunisienne vit toujours pauvrement et chichement.
En 939, pour la première fois, un roi des Francs, en l’occurrence, Louis IV confirme les privilèges du monastère, en reprenant les éléments de la charte de 908, falsifiée, et il faut encore attendre deux ans, pour que la papauté reconnaissance à son tour, l’ensemble des points de la charte. Il a fallu trente ans, pour la reconnaissance d’un tel évènement !!
Voilà un autre point pour douter de l’authenticité de la charte de
909/910.
Après la reconnaissance royale et papale, la grande destinée de l’ordre de Cluny peut commencer, avec l’appui d’Adélaïde. L’abbé de Cluny devient l’un des grands seigneurs du monde laïc, il a des vassaux et des domaines. Cluny devient un véritable empire monastique.
La communauté vit dans l’interprétation de la règle de saint Benoît, elle donne la première place à l’office divin et aux travaux de l’esprit en insistant sur la beauté de la liturgie et du cadre architectural, sur l'hospitalité et sur l'aumône et elle fait passer au second plan les travaux manuels. Les moines ne peuvent donc pas vivre en autosuffisance.
Alors l’abbaye va développer sa richesse par les nombreuses donations de grands seigneurs qui se rachètent de leurs mauvais faits et gestes, dans les derniers instants de leur vie. Ces donations sont destinées à leur assurer les prières des moines après leur mort. Ainsi, les moines clunisiens se spécialisent-ils dans la prière aux défunts, ce qui leur assure d'importants revenus et va leur permettre d’agrandir considérablement leur domaine foncier.
En quelques décennies, Cluny va devenir avec Rome le centre du monde chrétien. Les premiers abbés sont Bernon (895-926), Odon de Touraine (926-942), Aymard (942-954),
Mayeul (954-994), Odilon de Mercœur (994-1049),
Hugues Ier de Semur (1049-1109), Ponce de Melgueil (1109-1122), Hugues II de Semur (1122-1122) et
Pierre de Montboissier dit le Vénérable (1122-1156).
En 931, l’abbé Odon reçoit l’autorisation du pape de mettre sous son autorité toutes les abbayes dont il entreprendrait la réforme. C’est ce qui explique que Cluny
va se retrouver au centre d'un réseau d'abbayes et de prieurés conséquents.
Mayeul, à son instigation, introduit dans toutes les
abbayes clunisiennes la pratique généralisée des soins aux malades. Son engagement sera poursuivi par ses successeurs, et une grande infirmerie verra le jour à Cluny sous l’abbatiat de Pierre le Vénérable en 1150.
Dès 994, un marché fonctionne aux portes de Cluny, et l’essor de l’abbaye amène des flux de visiteurs et génère des besoins croissants en personnel de tous ordres. Le bourg s’agrandit et deux autres paroisses sont construites.
Au printemps 994, lors de l’élection d’Odilon, à la tête du monastère, le roi de Bourgogne,
Rodolphe III, a fait le voyage depuis la Suisse, il est présent à Cluny avec une suite nombreuse de nobles et prélats de son royaume, dont son demi-frère l’archevêque Burchard de Lyon.
Sa venue rappelle l'engagement fort de la Maison royale de Bourgogne auprès
de l'Ordre Clunisien. C’est peut-être à cette occasion, que la donation définitive de Romainmôtier a eu lieu, car quelques années, plus tard, Odilon est attesté comme abbé de Cluny et abbé de Romainmôtier.
En mai 999, le comte-évêque Hugues de Chalon réunit un plaid à Saint-Marcel de Chalon, en présence d’Odilon, du duc Eudes-Henri de Bourgogne, du comte Otte-Guillaume de Mâcon, mais surtout du roi des Francs Robert le Pieux, et de nombreux prélats et nobles du royaume, afin de confirmer la
donation du monastère de Paray le Monial à l’abbaye de Cluny.
Peu après cette réunion, Odilon, s’en va retrouver
l’impératrice Adélaïde, la tante de Rodolphe III, la petite-nièce de la comtesse Adélaïde, la veuve d’Othon Ier de Germanie, à Payerne et entame avec elle, un voyage en Suisse romande.
À l’automne 994, Adélaïde rédige son testament en présence de l’abbé et de son royal neveu, à Orbe. Dans ce texte, l’impératrice reprend la donation de Romainmôtier avec Cluny, en instaurant un jumelage entre les deux monastères, en rappelant l’implication de sa famille dans la fondation de Cluny, mais aussi pour contrecarrer la tentative du roi capétien de s’approprier la domination sur Cluny, en créant un monastère indépendant dans le Jura.
Lors de la
guerre de succession de la Bourgogne entre 1002/1016, l’abbé de Cluny Odilon, est le sage qui intervint à maintes reprises pour éviter des morts et des destructions de lieux saints. Il est écouté de tous.
Vers l’an mil, les moines clunisiens lancent un mouvement « la Paix de Dieu », qui consiste à réunir en concile le peuple, les grands et les ecclésiastiques pour restaurer la paix et l’institution de la foi. On rédige des chapitres précisant ce qu’il est permis de faire, ce qui est interdit de faire et ce qu’on promet d’offrir à Dieu. Le plus important des actes est le maintien de la paix inviolable. Chacun s’engage et passe ainsi un contrat moral avec Dieu. Le concile de Verdun sur le Doubs, en 1016, est l’un des premiers à se réunir et à servir de modèles. Dans le texte de ce concile, les participants jurent de ne plus enfreindre les églises, de ne pas piller les églises, de ne plus attaquer les moines, de ne pas voler le bétail, de ne plus rançonner les paysans et les marchands.
La puissance de Cluny est telle, qu’en 1027, les moines de Cluny interviennent à Vézelay avec l’appui du comte de Nevers Landri, pour rétablir le désordre survenu dans cette abbaye.
En 1040, Odilon lance une « Trêve de Dieu » pour toute la Bourgogne. Ce mouvement qui succède à la « Paix de Dieu » institue une règle qui interdit de nuire à autrui du jeudi au dimanche, sous peine de violer la sainte paix et d’être puni en conséquence de ses faits.
En août 1063, un concile extraordinaire se tient à Chalon. Son objectif est de traiter de la plainte des moines de Cluny pour l’empiètement de leurs libertés par l’évêque de Mâcon. Ce concile s’ouvre sous la présidence de Pierre Damien, évêque d'Ostie, mais surtout légat du pape. Parmi les évêques on trouve Aganon d'Autun, Achard de Chalon, Drogon de Mâcon, Hugues de Nevers, Geoffroi d'Auxerre, mais aussi l’archevêque Hugues de Besançon et l’abbé Hugues de Cluny. Le légat rappelle les textes de fondation de Cluny,
ceux de 909/910, qui sont reconnus par l’assemblée, et Drogon ne peut que s’incliner : Cluny dépend du Saint-Siège et non pas de l’évêché de Mâcon. On le voit, les évêques de Mâcon ont essayé de démontrer la fausseté du texte de
909/910, mais ils n’ont pas été suivis, et n'ont pas sus trouvé le bout de
la charte de 908 !
Le réseau clunisien s’étend sur l’Europe (France, Espagne, Germanie, Angleterre, Italie, …), vers 1100, près de 800 dépendances. L’ordre de Cluny comprend à son apogée au XIIIème siècle, quelques dix milles religieux dans un millier de maisons et dans une grande partie de l’Europe et du Moyen-Orient.
L’architecture :
L’abbaye de Cluny s’agrandit de siècle en siècle jusqu’à devenir la plus grande église de la chrétienté, avec la construction de Cluny III à partir de 1088, avant la construction de Saint-Pierre de Rome au XVIème,
elle fut surnommée la "Maior Ecclesia". C’est un chef d’œuvre de l’art roman, aujourd’hui pratiquement disparut, seul le clocher de 30 mètres de
hauteur peut laisser, au passant, une idée de l’ancien monastère qui s’étendait sur un rectangle de 450
mètres sur 350 mètres, et qui comprenait cinq nefs et deux transepts.
Ce bâtiment a fini par provoquer la jalousie du pape Jules II, qui pour disposer d’un édifice plus grand que Cluny va lancer la construction de Saint-Pierre de Rome, dès 1506.
Vidéo - pour admirer la reconstitution de l'abbaye de Cluny III
Les papes et Cluny :
Hugues de Semur sera le parrain de l’empereur Henri IV, et sera son médiateur lors de sa rencontre avec le pape Grégoire VII, ancien moine de Cluny, à Canossa en 1077. Grégoire VII
s’appuya régulièrement sur l’abbé de Cluny, Hugues de Semur, pour conduire les affaires de la papauté.
Lorsque le pape Urbain II consacre l’autel de la nouvelle abbatiale le 25 octobre 1095, il n’oublie pas qu’il a été moine de Cluny.
De même le pape Pascal II qui passera les
fêtes de Noël 1107 en Bourgogne, l’était tout autant.
En 1118, le pape Gélase II en route pour Vézelay décède à l’abbaye de Cluny. Son successeur
Calixte II est élu pape dans l’abbaye clunisienne.
Le pape Eugène III
rend visite à Pierre le Vénérable, le 26 mars 1147.
La fin de la puissance de Cluny
: Déjà sous l’abbatiat de Ponce de Melgueil, des tensions internes provoquent un schisme au sein de l’Ordre, Ponce quitte l’abbaye en 1122 (démission ou déposition ?) pour aller en pèlerinage à Jérusalem, à son retour, il veut reprendre la tête de l’abbaye, mais il n’est pas suivi par le pape, il est même excommunié.
La création de nouveaux ordres religieux, notamment celui de Cîteaux au XIIème, avec la personnalité de
Bernard de Clairvaux, qui critique vivement Cluny pour son attachement à l'argent et au pouvoir et propose une interprétation plus austère de la règle de saint Benoît.
La Grande-Chartreuse elle-aussi, fondée au XIème par Bruno qui prône une vie presque érémitique.
Les grands incendies de 1159, 1208 et 1233 détruisent de nombreuses maisons et l’église de Notre Dame, mais surtout après 1160 (fin de l’abbatiat de Pierre le Vénérable) l’ordre stagne et amène la stagnation de la ville.
Ensuite les grands monastères anglais ou allemands affiliés à l’ordre de Cluny affirment leur désir d’indépendance.
Au XIIIème siècle, le roi de France réussit à mettre la main sur l’abbaye, lorsque les comtes de Mâcon lèguent le comté au roi.
Puis au XIVème, ce sont les papes qui nomment les abbés, s’en ait fini de l’indépendance de l’abbaye.
Tous ces évènements expliquent la décadence de Cluny. L'ordre clunisien finit par disparaitre en 1790, puisque sous la Révolution, les ordres religieux sont momentanément interdits.
La démolition des bâtiments de l'abbaye sera une grave erreur
de nos prédécesseurs.
Reconstitution de Cluny III :
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